Antigone est la tragédie antique et moderne par excellence. Celle de la révolte et de la remise en cause du pouvoir établi.
Antigone est le conflit entre l’individu et le collectif, le désir d’autodétermination et la règle, le sentiment et le pouvoir.
Antigone brave Créon, qui incarne la machine broyeuse de l’État. Elle ne peut accepter son verdict, interdisant l’enterrement de son frère, Polynice, mort lors de son combat avec leur autre frère, Étéocle.
Antigone exige pour Polynice une digne sépulture et se réfère aux dieux, à d’autres lois, plus puissantes et plus anciennes que celles des hommes, autoritaires et arbitraires. Jusqu’où Antigone ira-t- elle pour faire valoir la loi du cœur ?
Antigone est africaine.
Le chœur est ivoirien, camerounais, sénéglais, guinéen, moldaves, algérien ; composé exclusivement de femmes issues du Centre d’Hébergement et d’Urgence de la Pépinière, foyer Emmaüs, maison de mon enfance.
Le reste de l’équipe fait partie de la compagnie La Tendre Lenteur.
Faire résonner la langue de Sophocle, grâce à la puissante traduction de Florence Dupont, avec le baoulé, dioula, soussou, wolof et l’arabe.
Voyager entre mes deux pays, la France et l’Algérie, mettre en scène cette tragédie avec les traces de nos blessures communes. Une Antigone et un Créon, entre l’Afrique et l’Occident.
La compagnie créée en 2022, est née de la volonté de pratiquer un théâtre élitaire pour toutes et tous. Elle doit son nom à Peter Handke, qui cite Friedrich Nietzsche, lors de la première page de Par les villages : “Une tendre lenteur est le tempo de ce discours”.
Le bureau de la compagnie est constitué de Sonia Bensassi et de Genaba Injai. Nous avons tous trois la volonté de renoncer à notre héritage social, celui même qui nous prédestinait à d’autres aventures de vie, loin des plateaux de théâtre.
Le choix concernant l’implantation sur ce territoire nous est apparu évident, ayant passé notre enfance dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne. Après avoir eu la chance de faire des grandes études à Paris, nous avons eu la volonté de faire le chemin inverse, revenir dans nos quartiers d’enfance avec les outils et les connaissances acquises lors de ces formations d’excellence, et ainsi, les transmettre aux jeunes. Imaginer un autre avenir que celui auquel on nous prédestine.
Ma recherche s’oriente autour de la question des origines, de l’identité, de la construction sociale et de notre capital culturel. Mon désir est d’interroger notre histoire commune. Je souhaite travailler sur des textes exigeants afin de les rendre désirables de toutes et tous. Il me tient à cœur d’être présent sur les territoires éloignés d’offres culturelles, là où les questions de la représentation, de l’émancipation et de la place de la femmes sont une priorité.
Chaque création partira d’un territoire, d’une population et d’une rencontre afin d’alimenter le projet par les échanges avec les habitantes et habitants. Travailler avec les amateurs, les considérer comme des artistes le temps d’une création. S’éloigner des clichés et des cases, en sortir pour trouver le regard juste, la parole vraie.
La tendre lenteur est composée d’artistes venant d’horizon complètement différents, pour la plupart, rencontrés lors des stages en école nationale ; enfants d’artiste, d’ingénieur, de producteur, de femme de ménage, d’élu politique, d’ouvrier, d’institutrice ou orphelin. Dans ma démarche artistique, j’ai le désir profond d’échapper à toute forme de misérabilisme, de regard de pitié ou d’attendrissement par la misère.
Je n’ai pas la prétention d’être en quête de la solution miracle et encore moins d’être précurseur, j’ai conscience de tous les efforts effectués par les générations précédentes, j’en suis très admiratif. J’ai simplement le désir que mon amie d’enfance, Yasmina, jeune débrouillarde, puisse venir au théâtre pour la première fois, voir jouer Louisa, jeune actrice parisienne. Désir que ces deux jeunes femmes, venant de milieux complètement différents, se rencontrent. Désir de raconter le monde d’aujourd’hui avec et pour toutes les femmes et tous les hommes qui le constituent.
Peu importe nos chemins de vie, nos plateaux de théâtre resteront ces lieux du possible.
Tendrement, lentement, sûrement.