Un groupe d’aveugles égarés guette le retour de leur guide, celui qui doit les guérir, leur montrer la voie, celui qui voit. Abandonnés sur l’île, ils attendent inexorablement son retour dans une forêt aux signes étrangement inquiétants. Épuisés, ils tentent de comprendre où ils se trouvent .La Nature, en vain, informe les aveugles de la fatalité prochaine qui va s’abattre.
Nous avons l’habitude de notre propre silence mais le silence de plusieurs nous interroge et nous plonge dans un extra-ordinaire qui nous éloigne de notre quotidienneté accablante. C’est le récit macabre et effrayant de l’Homme face à la Mort. La mort a toujours fasciné les cultures de toutes les époques. C’est une puissance indétrônable que nous rencontrerons tous. Elle nous ramène à notre tragique condition humaine. L’histoire mystique de cette horde d’aveugles pourrait même être une fable dont la morale lugubre serait prononcée par la Nature, la Mort, Dieu, ou quelque autre puissance qui nous dépasse. Elle nous confierait ce constat ultime : « Pauvres générations humaines, je ne vois en vous qu’un néant. »
Le théâtre est de mon point de vue l’art total pouvant allier tous les domaines. Véritable porte paroles des “voix tues”, il est capital de les faire entendre. L’acte théâtral est un espace-temps sacré pour porter ces voix avec humilité et engagement profond.
Le théâtre est art social en ce sens que le public y vient pour se sortir de lui-même.
Il a charge de “représenter les mouvements de l’âme, de l’esprit, du monde, de l’histoire ” comme le dit Mnouchkine. Un spectacle n’est pas un objet figé dans le temps, il évolue en fonction de chaque public. Chaque représentation est un dialogue (presque inconscient) entre spectateurs, acteurs et l’œuvre elle-même.
Pourquoi, sous prétexte qu’une œuvre est “trop métaphorique”,”trop symboliste”, elle devrait rester dans sa case de chef d’œuvres à jamais intouchables ? Nous avons dit non à ce préjugé, pour plonger dans l’univers glaçant de Maeterlinck et y donner une lecture au plus proche de nous-même et de ce que nous avions vécu. Le rituel et la tradition
(exprimés dans mes choix de mise en scène) se sont ensuite posés sur nos expériences personnelles pour donner à l’œuvre sa véridique portée universelle et intemporelle .
Je cherche à m’affirmer en tant qu’artiste et oser prôner les valeurs artistiques et humaines que je veux défendre : le Théâtre de la Cruauté d’Artaud, la pensée de Claude Régy, la pensée sociale de Charles Dullin, la poésie de Ushio Amagastu, la radicalité de Kantor, la noirceur de Beckett… En tant qu’acteurs nous avons une responsabilité immense de « bouleverser » dans le sens de bouger les consciences collectives. Être une porteuse de messages. Je cherche à cultiver mon travail à travers ce qui m’entoure: le monde et ses injustices, le sacré et la beauté, la monstruosité et l’horreur, la poésie dans la voix des oubliés. Façonner et incarner des personnages qui ébranleront le monde pour qu’une conscience collective puisse naître. Faire du métier de comédienne et metteuse en scène une passerelle sacrée pour donner à voir au monde sa complexité. Jusqu’à ma mort, faire ce métier de vie .